Le père Noël qui refusait d'apporter des cadeaux aux enfants

Conte pour faire patienter les enfants qui attendent le passage du Père Noël.

Il était un pays où les enfants  étaient  choyés par leurs parents.  Vers la mi-décembre, la pression commençait à monter partout. Les enfants découpaient dans les catalogues des images de jouets ;  poupées, peluches, camions étaient soigneusement collés sur des lettres pleines d’amour et d’espoir, les lettres adressées au Père Noël, poste du Pôle Nord. Sapins chargés de boules brillantes, maisons décorées, chapons dorant au four, ce n’était plus qu’une question de minutes. Dans ce pays, en effet, le père Noël passait juste après minuit et les enfants encore éveillés se ruaient sous les branches odorantes du sapin découvrir leurs cadeaux.

Cette année-là, décembre 2015, rien ne se passa comme d’habitude. Il faut dire qu’on aurait pu s’y attendre : depuis le début du mois, les températures ne baissaient pas ; Noël avec quinze degrés à l’extérieur, cela aurait dû alerter. Minuit, les enfants se précipitent sous le sapin et …rien, pas de paquet brillant, pas de chocolats, rien de rien. La petite Louise éclate en sanglots, Manon est médusée, Hugo refuse de croire en la vision d’horreur, quant au bébé Paul-Laurent, il est trop petit pour apprécier cette situation catastrophique .Le sapin s’écroule de honte .De toutes les maisons s’élèvent cris et pleurs.

Les oreilles fatiguées par le niveau sonore des plaintes, les parents désignent une délégation pour se rendre auprès du Père Noël et obtenir des explications.

Assis dans son fauteuil à bascule sur sa véranda, ce dernier fume tranquillement la pipe, entouré de ses lutins pendant que les rennes broutent un maigre lichen.

« Mais enfin, Père Noël, et les cadeaux ? Vous n’avez pas pensé à la déception des enfants ?

Il les regarde par-dessus ses lunettes et poussa un gros soupir :

« Cela fait des années et des années que cela dure. J’en ai assez.

• Comment assez, assez de quoi ?
• assez, assez de me roussir la barbe au feu de cheminée, de noircir ma houppelande aux conduits mal ramonés, de me brûler le fond de culotte aux flammes. C’est terminé. »

Et il se renfonce dans son fauteuil, tirant sur sa pipe à grandes goulées pleines de colère. Les parents promettent d’améliorer les conditions de travail et s’en retournent dans leur pays.

2016 : une année passe, revient le 24 décembre. Minuit, les enfants se précipitent sous le sapin et …rien, pas de paquet brillant, pas de chocolats, rien de rien. . La petite Louise qui n’a pas perdu son habitude de chouiner a de bonnes raisons d’éclater en sanglots, Manon risque un mot grossier entendu à la récréation, Hugo ne lève même pas les yeux de son jeu vidéo, quant à Paul-Laurent, maintenant âgé de deux ans, il se jette dans les jupes de sa mère. Le sapin se serait bien caché dans un trou de souris, mais Hugo lui donne un coup de pied dans le tronc, et l’épicéa s’écroule à nouveau.

Habitués aux négociations difficiles, les mêmes parents prennent le chemin du Pôle nord pour comprendre et oser une réclamation. Ils ont fait tout ce qu’il fallait pour faciliter la tâche du père Noël quand même !

Assis dans son fauteuil à bascule sur sa véranda, ce dernier fume tranquillement la pipe, entouré de ses lutins pendant que les rennes broutent un maigre lichen.

« Père Noël, enfin, les enfants sont au désespoir. Nous avons tenu nos engagements, les consignes de sécurité ont bien été transmises et appliquées: toutes les cheminées ont été éteintes. Pas de feu, pas de brûlures. Alors quoi !

Il les regarde par-dessus ses lunettes et pousse un gros soupir :

« Décidément, vous ne réfléchissez pas assez dans ce pays. Pas de feu, pas de lumière, je risque de me fracasser sur les toits ou de jeter les cadeaux à côté du conduit. Et surtout, quelle tristesse, pas de feu, pas de vie, et vous appelez cela de bonnes conditions ? Trouvez mieux ! »

Dépités, les parents ne discutent même pas et reprennent l’avion pour leur pays. Le voyage est long, ils ont le temps de grogner contre le père Noël et de chercher des solutions. L’avion atterrit à peine qu’ils ont trouvé la solution miracle : l’an prochain, Noël sera une fête digne de ce nom.

2017, onze mois d’attente, le 24 décembre est là. Minuit, les enfants se précipitent sous le sapin et …encore rien, pas de paquet brillant, pas de chocolats, rien de rien de rien de rien. . La petite Louise court se renfoncer dans les coussins pour cacher ses larmes accompagnée par Paul Laurent, maintenant âgé de trois ans, qui pleure de voir sa cousine pleurer. Manon prépare une de ses remarques bien senties dont elle a le secret, Hugo, adolescent de presque quatorze ans jette « de toute façon, je n’ai jamais cru au Père Noël, j’aurai préféré sortir avec mes copains. » Et Louise redouble de larmes devant cette énormité. Quant au sapin, voulant se garer des coups de pied vengeurs d’Hugo, il se prend les branches basses dans le guéridon et s’écroule en fracassant toutes les boules.

Les parents, excédés, repartent vers le Pôle Nord. « Finalement, risque l’un d’eux, il faudrait rentabiliser le voyage. On pourrait organiser une croisière dans les glaces et admirer les ours blancs qui survivent au réchauffement climatique ».

Assis dans son fauteuil à bascule sur sa véranda, ce dernier fume tranquillement la pipe, entouré de ses lutins pendant que les rennes broutent un maigre lichen.

« Père Noël, enfin, il ne faudrait pas que cela devienne de la mauvaise volonté. L’information était claire, ne pas carboniser le Père Noël et cependant allumer de joyeux feux de cheminée. Convenez que nous avons bien fait les choses. »

Le vieillard explose de colère :

« Egoïstes, tous des égoïstes dans ce pays. Qui a les moyens de se faire construire deux cheminées, une éteinte et propre pour le passage du Père Noël, l’autre avec une bonne flambée ? Les riches bien sûr. Et comment faire pour les parents trop pauvres ? Juste des cadeaux pour les petits des riches ? C’est cela que vous appelez la fraternité entre les hommes ? Mauvaise réponse, mauvaise solution, retournez chez vous. «

Dans l’avion du retour, les discussions vont bon train et les parents commencent à se décourager – hormis celui qui a commencé à organiser des croisières autour de l’Islande avec un succès certain. La lecture d’un article de journal attire leur attention : on y traite des textiles intelligents pour protéger de la chaleur ou du froid. La voilà, la solution. Un costume ignifugé pour le père Noël et une barbe enduite de produit protecteur. Les parents mettent un industriel sur l’affaire et début décembre suivant, après de nombreux essais, l’habit est disponible. Un paquet par la poste vers le Pôle Nord et l’affaire est dans le sac.

2018, onze mois d’attente, le 24 décembre est là. Minuit, les enfants se précipitent sous le sapin et …encore rien, pas de paquet brillant, pas de chocolats, rien de rien de rien de rien . . . malédiction !

Furieux, Hugo se dresse et lance : « Mamie, ça suffit. Qu’est-ce que tu vas inventer maintenant, que la poste du Pôle Nord était en grève et que le père Noël n’a pas reçu son habit à temps ? « Manon rétorque posément : « Mamie, j’ai un an de plus et je dois maitriser mon langage mais je t’assure que je n’en pense pas moins. Tu vas nous faire attendre jusqu’à quand ? » Dans les bras l’un de l’autre, Louise et Paul-Laurent sont inconsolables et réclament désespérément la tétine que leurs mamans leur ont récemment supprimées.

Un peu vexée de constater que son auditoire en a assez d’entrer dans son jeu, la grand-mère précipite son récit, d’autant plus qu’elle entend à l’étage au-dessus des pas précipités et des rires étouffés. Il faut faire vite et conclure!

En fait, c’était une blague des parents : ceux-ci ont conclu un accord avec le père Noël, ont fait passer tous les cadeaux de son traineau jusqu’au grenier de la maison. Une cloche sonne dans la nuit, c’est le signal : » venez vite, venez vite, le père Noël est passé ! « Au pied du sapin brillant qui agite fièrement ses branches, les paquets s’entassent, et les parents rient devant la surprise et la joie de leurs enfants.